Dernière mise à jour le 2 août 2025
On ne vient pas à Tatihou comme on visite un village de bord de mer. Il faut l’attendre. Ou plutôt, attendre que la mer s’efface. Deux fois par jour, à marée basse, l’océan se retire et laisse apparaître un sentier d’algues, de sable et de vase. Une langue mouvante qu’on suit à pied, entre les parcs à huîtres de la baie de Saint-Vaast. C’est l’une des entrées possibles vers l’île.
L’autre, plus insolite encore, c’est le Tatihou III : un bateau amphibie à roues qui roule d’abord sur le sable avant de se transformer en navire une fois la mer retrouvée. Ce jour-là, j’ai embarqué avec mes filles de 10 et 4 ans. Traversée rapide, cinq minutes seulement, mais le dépaysement était total.
Un nom viking et des siècles d’histoire en mémoire
Tatihou. Le nom intrigue, amuse les enfants, accroche l’oreille. Il vient des Vikings : “Tati” serait le nom d’un chef, et “hou” désigne une terre entourée d’eau. L’île porte bien son nom. Posée au large du Cotentin, face à Saint-Vaast-la-Hougue, elle semble toujours à la limite de disparaître. Mais elle est habitée par la mémoire.
Les premières traces d’occupation humaine remontent à 100 000 ans, avec des vestiges laissés par l’Homme de Néandertal. Des installations agricoles datent de l’âge du Bronze. Mais c’est au XVIIe siècle que l’île entre vraiment dans l’histoire. En 1692, la flotte de Louis XIV affronte une coalition anglo-hollandaise au large de Barfleur. La bataille est un désastre pour la France. Onze navires français sont échoués puis incendiés sous les yeux de l’amiral Tourville.
Pour empêcher que cela ne se reproduise, Vauban fait fortifier la rade de Saint-Vaast. En 1694, deux tours voient le jour : l’une à la Hougue, l’autre à Tatihou. Dessinées par Benjamin de Combes, elles sont typiques de l’architecture militaire du temps et seront inscrites au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2008.
L’histoire de l’île ne s’arrête pas là. En 1720, alors que la peste sévit à Marseille, Tatihou devient un lazaret. Pendant près de 150 ans, marins et marchandises y sont mis en quarantaine, passés aux fumigations de bruyères et de genièvre. En 1887, le Muséum d’histoire naturelle de Paris transforme les lieux en laboratoire maritime, expérimentant l’élevage de turbot et l’observation du plancton. Puis viennent les aériums pour enfants souffreteux, les centres de formation pour jeunes en difficulté. L’île est tour à tour école, hôpital, refuge, terrain d’expériences.
Abandonnée dans les années 1980, Tatihou est rachetée par le Conservatoire du littoral. En 1992, pour le tricentenaire de la bataille de la Hougue, l’île rouvre au public. Le musée maritime y est inauguré. Depuis, elle conjugue nature préservée, patrimoine militaire et vie culturelle.
Visite de l’île : entre pierres, musées et jardins
L’île fait 28 hectares. C’est peu, mais assez pour passer une vraie journée de découverte, surtout en famille. L’arrivée se fait par le sud de l’île. Dans la petite maison d’accueil, une guide est là pour nous donner un aperçu de l’histoire de l’île et nous rappeler les règles essentielles : rester sur les sentiers, ne rien cueillir, respecter la faune. À partir de là, la visite est libre, avec 2 options : la Tour Vauban au sud ou les jardins et le musée au nord.
La visite commence pour nous par la Tour Vauban. On suit le sentier tout plat vers l’ouvrage, en longeant les prairies où paissent les moutons. Dans la Tour, on découvre les cellules de prisonniers, puis aux étages les logements qui pouvaient accueillir jusqu’à 80 soldats.
Au sommet de la tour, la vue embrasse la baie, le port de Saint-Vaast et la tour jumelle de la Hougue. On reste quelques minutes, suspendus dans le vent. En redescendant, on longe un sentier balisé qui traverse les vestiges militaires plus récents, notamment des bunkers allemands.
Puis on se dirige vers le nord, où l’ambiance change du tout au tout. Le jardin du lazaret nous accueille avec ses allées tranquilles, ses massifs bien entretenus, et ses cabanes en bois qui invitent au repos. Trois espaces s’enchaînent : le jardin des découvertes, le jardin d’acclimatation et le grand jardin maritime. C’est un patchwork de couleurs et d’odeurs, entre fuchsias, fleurs sauvages, plantes grasses et essences exotiques venues des quatre coins du monde.
Tout près, le musée maritime occupe les anciens bâtiments du lazaret. L’espace est compact mais dense. Il retrace la bataille navale de 1692, expose les objets retrouvés dans les épaves, dévoile le quotidien des marins de Louis XIV. Ma petite fille s’est amusée à charger un canon grandeur nature puis à l’allumer. Enfin, pas pour de vrai hein.
Le parcours est adapté aux enfants, sans être enfantin. On termine la visite par l’abri à bateaux, où une trentaine d’unités de pêche et de plaisance sont exposées. Il y a aussi l’hangar dédié au cordier Sainte-Thérèse Souvenez-vous, imposant et touchant dans sa robe de bois usé.
Que faire d’autre sur l’île ?
Outre les visites libres, des ateliers et visites thématiques sont proposés pour les groupes, les scolaires et parfois les familles. Le laboratoire maritime, encore actif, accueille des activités autour du plancton, de la bioluminescence, ou de l’écologie côtière. Tatihou est aussi un observatoire ornithologique reconnu, inscrit dans le réseau Natura 2000. On peut y observer plus de 150 espèces d’oiseaux, dont certaines rares. Des jumelles sont disponibles à l’accueil pour ceux qui souhaitent s’attarder.
Chaque été, le festival “Les Traversées Tatihou” transforme l’île en scène flottante. Des concerts de musiques du large sont organisés dans les jardins, à l’heure où la mer se retire. Le public rejoint l’île à pied, puis repart avant que la mer ne remonte. Une expérience à la fois culturelle et physique, qui rend hommage au rythme de l’île.
Dormir et manger sur Tatihou
Tatihou offre la possibilité rare de passer la nuit sur une île presque déserte. L’hôtel Les Maisons de Tatihou est réparti dans trois bâtiments en pierre aux noms de marins : la maison des Amiraux, la maison des Équipages et la maison des Gabiers. Chacune propose des chambres sobres et confortables, avec vue sur mer ou sur jardin. Les familles sont les bienvenues, tout comme les petits groupes. Les draps sont fournis et le calme est garanti.
Pour les budgets plus modestes ou les séjours en groupe, une auberge collective propose 14 chambres réparties dans deux bâtiments : les Bâbordais et les Tribordais. L’ambiance y est plus simple, mais l’essentiel est là. Le centre peut accueillir des classes de découverte, des randonneurs ou des séminaires. Les salles de réunion sont disponibles à la journée ou en résidentiel.
Côté restauration, le restaurant Le Carré propose une cuisine locale et soignée, à base de produits frais. On y mange à l’intérieur dans une grande salle lumineuse, ou dehors sur les tables de bois quand le temps le permet. Les groupes peuvent être accueillis dans une salle à part, avec un service à table ou un buffet. Pour les simples visiteurs, il est aussi possible de pique-niquer sur place : plusieurs zones sont prévues, dont certaines à l’abri, et les déchets doivent être emportés avec soi.
Une île avec ses propres règles
Tatihou ne ressemble à rien d’autre. L’accès même est un jeu de marées. La traversée à bord du Tatihou (le II ou le III) dure 5 à 15 minutes selon le niveau de la mer. Il faut parfois contourner les parcs à huîtres. En été, il faut souvent réserver deux ou trois jours à l’avance (14€ pour les adultes, 6,50€ pour les enfants). Les billets d’achètent en ligne ou à l’office du tourisme. Faites attention au lieu d’embarquement car il y en a 2 en fonction des marées : un à la petite cale, près de l’office du tourisme, et un près de la capitainerie. Tout est indiqué sur votre billet.
L’île est ouverte de fin mars à novembre, de 10h à 18h (jusqu’à 19h en juillet et août). Aucune voiture, aucun chien, aucune poubelle sur l’île. Il y a par contre des toilettes près de la Tour Vauban, dans la maison d’accueil et dans le musée. On suit les sentiers, on emporte ses déchets, on respecte les zones de nidification. C’est un site protégé, et tout y est pensé pour le rester.
Un monde suspendu entre deux marées
Quand on repart, on se retourne. Tatihou disparaît doucement, avalée par la mer. On la quitte à contrecœur, avec cette impression étrange d’avoir vécu une parenthèse. C’est une île qui vous ralentit, vous force à regarder, à écouter, à marcher au rythme du vent. Une île où l’histoire se devine dans chaque pierre, où les enfants tirent des boulets de canon, où les adultes retrouvent un peu de silence. Tatihou ne se raconte pas, elle se traverse.